Enseigner : Le pouvoir des mots
Soyez l’enseignant que vous aimeriez avoir. Ou du moins, réfléchissez-y de temps en temps, et faites évoluer ou cultivez cet objectif. Celui qui reste calme, qui ne prend pas la place de son cavalier à cheval et n’en fait pas un simple exécutant, qui répond volontiers aux « pourquoi » et fait rentrer ses choix dans un grand schéma global, et last but not least, qui n’humilie pas pour asseoir sa supériorité et présente à ses élèves des défis pour lesquels il le pense capable et prêt.
Car, pour un enseignant comme en tant que cavalier, l’important n’est jamais l’objectif que vous voulez atteindre, mais la façon dont vous utilisez vos aides/outils à disposition pour y parvenir. Les moyens définissent la durabilité, le développement de la confiance du cheval (et du cavalier en selle en lui-même !) ou le danger qu’il y a à pratiquer.
Le « comment » est en somme aussi important que le « quoi ».
Travaillant avec de l’humain, le choix de l’approche de chaque exercice ou de mots en particulier peut être décisif quant-à l’évolution positive ou non d’un couple. Le premier des exemples : pour quelqu’un qui s’est perdu très longtemps dans un « hyper contrôle » (inefficace, s’il est besoin de le dire) de sa monture, lui faire envisager frontalement un exercice ou un mouvement qui lui paraît « trop compliqué pour son niveau/pour lui » est souvent voué à l’échec. Idem pour quelqu’un en apprentissage le jour où on prononce un mot terrible comme « épaule en dedans » ou « appuyer » avant même d’énoncer l’attitude ou les actions que l’on attend de notre cavalier, il est déjà dans un état d’auto-critique « je ne peux pas faire ça, c’est trop difficile, je ne suis pas un cavalier de dressage, je n’ai pas un cheval adapté, il ne va jamais comprendre ce que je veux » et l’effet boule-de-neige est déjà lancé à toute vitesse.
S’en suit des tentatives pour le moins contractées, le dos du cavalier complètement tordu pour « s’incurver » à la place de leur cheval, le regard et les épaules dans la mauvaise direction, des mains opposantes au mouvement pour « retenir » le cheval de courir dans la direction de sa tête…Et des débriefings dubitatifs.
Il ne faut pas négliger, pour le cheval certes, mais non plus pour le cavalier la préparation, avant la répétition. Décomposer chaque exercice dans ses difficultés, pour amener le cavalier à chaque étape à se rendre compte de tous les outils qu’il connaît déjà et qu’il a déjà dans sa panoplie pour rattraper une situation qui pourrait lui échapper. Pour lui faire appliquer, dans l’ordre, les aides minimales mais efficaces progressivement jusqu’à l’obtention du mouvement.
Avec certains cavaliers qui sont malgré eux dans une auto-critique constante, il est même préférable d’enchaîner ces différentes séquences sans prononcer « le gros mot », le nom de ce mouvement qui fait peur ou qui fait appel à une idée naïve (au sens strict et non péjoratif du terme !) préconçue de tout ce qu’il implique. Parrce que cela implique beaucoup trop d’actions à la fois, souvent très contradictoires, que le cheval ne peut donc pas entendre correctement. Le geste final, s’il ressemble au mouvement souhaité à un moment donné, se fait dans la crispation, les heurts, la perte d’impulsion, d’équilibre et d’expression.
On est un jour ou l’autre confronté à des élèves qui manquent terriblement de confiance en eux jusqu’à les paralyser. Qui n’essayent plus, de peur de se tromper. De peur de réussir, aussi. Une auto-critique envahissante (« je suis nul » « on dirait un débutant » « je suis secoué comme un galop 2 » « je ne mérite pas mon cheval, il est trop bon pour moi ») pourrait être répondue par un langage technique précis, un vocabulaire surveillé, en évitant tout le champ lexical de la valence (bien/bon/parfait/mauvais/nul/moyen) et en le remplaçant par du factuel. Parce que cette auto-critique, souvent très répétitive, fait partie des chevaux de bataille de la progression. Parce qu’elle ne reflète pas de réalité mais seulement des insécurités ; elle n’est pas du domaine du factuel, du mesurable. Le mesurable peut alors devenir un véritable salut, plus que les jugements à l’emporte-pièce, surtout fait par autrui. Quelqu’un d’extérieur, tel qu’un enseignant, peut alors malgré lui rentrer dans un jeu pervers : soit il est adulé de son élève qui lui prête toute-puissance et toute-connaissance, soit il se retrouve entièrement remis en cause un jour, suite à un événement et parce qu’il a un discours trop dissonant de cette auto-critique intérieure.
Il n’est pas toujours aisé de transmettre l’importance et l’efficacité énorme qu’il y a à monter avec une position et une posture stables qui vont légèrement variées, plutôt que des actions directes des mains et des jambes. De gommer peu à peu des automatismes qui ne passent pas par la partie consciente de l’esprit du cavalier. Qui agissent avant de laisser faire. La progression choisie par l’enseignant peut être aussi capitale que le choix des mots/phrases qu’il aborde ou évite à tout prix…
Selon les situations et les couples, observer le geste spontané du cavalier et en discuter ensuite avec lui peut être une source de grands apprentissages. Il va partir d’une base connue et pourra la comparer ensuite avec le mouvement corrigé. Parfois, lorsque le cavalier ne se sent pas en maîtrise ou s’il se fait une montagne d’un mouvement avant même de l’essayer, il peut être largement préférable de les amener à sentir le « comment » et les sensations de prise d’équilibre et de perméabilité associées, avant de leur expliquer le « quoi ».
Soyez encourageant, soyez humble, et si un chemin d’accès à l’étape suivante du couple ne marche pas… Ne vous découragez pas, questionnez votre démarche : ai-je négligé un pré-requis ? Puis…. Soyez créatif.
Et vous, quel enseignant voulez-vous être ?