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1er semestre 2021 : Lakya et défis

Quand on prépare un nouveau cheval à sa future carrière, chacun a ses propres challenges qui vont intervenir à un moment ou à un autre. Comme j’aime bien apprendre… Me voilà avec une belle aventure à vivre avec cette jolie baie au tempérament de feu !Voici un retour sur une période qui n’a pas été facile pour moi et m’a tenue un peu absente, le moral parfois mis à rude épreuve.

Et comme toujours avec un jeune ; J’ai l’habitude de dire plus on les a jeunes et plus c’est délicat : on a le temps d’idéaliser tout un tas d’attentes réalistes ou non qui, plus le temps avancent, plus nous mettent de pression, pression qui éloigne d’autant leur réalisation… Pour elle comme pour Falcon, le projet était clair : les amener jusqu’au Grand Prix. Elles ont les qualités pour, indiscutablement, mais pas sans embûches pour les gérer. Moi qui n’aime pas avancer sans comprendre, je suis servie; parce que sans comprendre ce qu’il se passe, il aurait été difficile de démêler tout ce qui s’est passé dans l’hiver !

Point mental & tempérament

Sûre d’elle et à la fois très sensible, son tempérament curieux la rend très intelligente pour faire des apprentissages. Effectivement, avec son explosivité, il n’est pas forcément évident de lui faire faire ceux qui nous arrangent…Et pour ça il m’aura fallu reprendre les bases longuement en plusieurs fois : ce n’est pas une bonne candidate pour un démarrage rapide et fluide.
Pour une raison qui lui est propre, elle se sent vite agressée et acculée et passe d’une réaction de peur à l’autre à des vitesses folles : de la fuite, au blocage complet, à l’agression (qui ressort assez facilement chez elle pour une jument, pensée spéciale pour mes vétérinaires, maréchal, et ostéopathes qui ont eu le malheur de poser leurs mains sur elle pour la première fois un jour !). Mais il faut bien garder en tête ce dont il s’agit : de peur l’empêchant de cognition plus élevée pour répondre à ce qu’il se passe. Chez elle, parfois un même comportement peut être juste à éduquer, ou à classifier comme trop de pression à faire redescendre pour qu’elle retrouve ses marques. Les réactions de peur, quelles qu’elles soient, relèvent de l’instinct de survie et sont une tentative désespérée de ne pas mourir chez le cheval (pendant que nous craignons souvent d’être simplement blessés).
Les réactions qu’on peut observer selon la pression qu’elle perçoit sont une mine d’informations cruciales dont je n’ai pas fini d’en adapter mes méthodes de travail mais ce fut une grande source de remise en question. Si elle est dépassée par les événements auxquels je la confronte parce qu’elle n’a pas reçu la préparation qui lui convient spécifiquement, il en reste que c’est à moi de me rendre digne de confiance et non l’inverse. Ayant perdu une grande partie de sa confiance en moi (au profit de sa défiance qu’elle affiche depuis toujours avec des inconnus lui voulant des choses imprévisibles et effrayantes), on a juste tout perdu de notre plaisir au travail au cours de l’année dernière. Ce n’était pas parfait, mais on a enfoncé des lacunes à force de petits détails qui ne lui convenaient pas.

Point physique & morphotype

En termes de mécanique locomotrice, sacré cocktail ! Elle est dotée d’une souplesse impressionnante malgré sa masse et d’une force peu commune. Ses allures sont plutôt du genre étendues, avec un excellent rythme au pas. Néanmoins, sa force l’a beaucoup désservie avec son hyperlaxité : forcer dans tous les sens n’est pas sans risques et ne veut pas dire fonctionner avec son dos. Il faut progressivement lui apprendre à contenir ce corps imposant dans des mouvements plus mesurés et moins étendus. Sa qualité naturelle pour le rassembler peut alors faire surface de façon impressionnante : mais le prérequis se mérite. Elle porte en elle de nombreuses dissymétries accentuées par une croissance pas très heureuse (vivement dans 2 ans !), un angle palmaire négatif qui semble prêt à ressurgir à tout instant et compromet l’abduction de son garrot alors que son arrière-main est si puissante (et si haute, oups).
Pour cela, la médication reste la même : un travail régulier, beaucoup au sol avec divers outils à ma portée, pour consolider ses muscles profonds. Des mouvements moins astronomiques mais avec un dos soutenu, dans une attitude qui ne peut être très basse à ce jour sans entraîner un déséquilibre difficile à contrer.

La progression en détails

Le véritable bénéfice de relever tous les points précédents est bien entendu de s’en servir pour avancer et transformer l’essai. Le but reste d’avancer son travail à son rythme, mentalement et physiquement, d’une façon qu’elle est capable de supporter. Même avant ça, je dois dire, c’est de comprendre qu’il fallait qu’on retrouve notre plaisir à travailler ensemble qui a été la clé : quel que soit le travail fait, qu’il soit instagramable, ambitieux, sexy sur le papier…Ou pas du tout. (spoiler, souvent pas du tout). Et pour ça, j’ai dû quitter avec beaucoup de difficultés la culpabilité et la honte de ne pas pouvoir accomplir tous mes objectifs théoriques de l’année, mois après mois, et cette culpabilité m’en a sans doute de plus en plus éloignée (dans la douleur).
On a un gros travail d’équilibre latéral et longitudinal à construire encore, en cherchant plutôt des exercices ou outils qui vont la « refermer » et la redresser pour la rassembler, que « l’ouvrir » dans son cadre (et je ne parle pas de son attitude !) en lui faisant chercher du terrain dans tous les sens. Ces derniers ont encore une tendance incurable à la désorganiser à son stade d’avancement et de croissance.
Par ailleurs, je mets l’accent sur la diminution de la pression inutile que j’exerçais, en codifiant plus finement mes différentes demandes et aides (à pied et en selle) pour les rendre les plus claires et les plus différenciées possibles les unes des autres. Il y a eu des confusions par exemple au départ sur le mouvement en avant qui est devenu de la fuite perpétuelle dans des circonstances variées et parfois semblant peu graves (par exemple, contourner le meneur, avoir toujours les épaules en mouvement lors des manoeuvres latérales) qui peuvent devenir excessives en cas de pression supplémentaire et la rendre trop émue pour réagir de façon proportionnée.
Les chevaux apprennent toujours ; et certains ont tendance à relever certaines choses, d’autres pas. Elle n’a jamais cessé d’apprendre, jusqu’au point où c’est devenu trop peu clair dans son esprit pour faire sens. J’admets que même avec Arisca ou Orane (et tout ce qu’on a fait ensemble !) je n’avais jamais été confrontée au besoin d’un tel niveau de consistance et c’est quelque chose qui fera de moi une meilleure femme de cheval, je l’espère.

Dernière cerise sur le gâteau, pour prendre de la perspective mais augmenter ma possibilité de revoir depuis la base tous mes codes de travail, je retourne à des équipements plus simples et nettement moins réactifs : carrot stick quasi uniquement (même pour préparer le piaffer, oui, sinon c’est beaucoup trop avec une badine souple !) et je mets en place le travail plus fin au licol. Chose que j’admets avoir beaucoup esquivé depuis 10 ans, et la disparition d’Orane, la jument avec qui j’ai fait les 400 coups. Après elle, je me suis trop protégée d’aller sur un terrain qui me mettrait en danger s’il arrivait quelque chose à un cheval avec qui j’aurais partagé la vulnérabilité de chercher « plus »… Or, la vie me fait regretter cette longue perte d’expérience potentielle, en même temps qu’elle me laisse moins de choix : des chevaux pour le sport, oui, mais avec tous les sacrifices que cela représente, je dois aussi quitter ma tour d’ivoire et leur donner leur plein potentiel en tant qu’enseignants de vie…

Sportivement,

Emeline Debuire